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Sommelier International 2009
Cognac La Gabare : Le luxe à l’état brut
Quand la détermination exclut le déterminisme…
Les débuts de l’existence de Jean Grosperrin tiennent de l’univers de Zola. Ouvrier dans les vignobles de Bourgogne puis bouilleur de crus ambulant dans l’Est de la France, il a longtemps mené une vie de nomade au gré des saisons agricoles. Devenu père de famille au début des années 1980, il se spécialise en viticulture et œnologie à Montpellier avant de se lancer dans la commercialisation d’alambics anciens pour un chaudronnier de Cognac. La crise majeure qui sévit en 1992 le contraint à devenir courtier de campagne. C’est là, alors qu’il parcourt le monde rural, qu’il découvre d’exceptionnelles eaux-de-vie qui dorment dans les chais de petits producteurs. Ces eaux-de-vie fines, rondes, aromatiques et totalement naturelles seront assemblées à d’autres pour élaborer les fameux Cognacs. Décidant de les sauver d’un destin qu’il estime médiocre, il se charge lui-même de leur vieillissement puis de leur mise en bouteille, signant l’acte de naissance des Cognacs La Gabare, des Cognacs bruts, millésimés, d’origine garantie, puissants ou suaves sans être jamais brûlants. Ses plus vieux Cognacs (ainsi une Petite Champagne 1962 ou encore une Grande Champagne 1944), distillés au feu de bois, sont les derniers témoins d’une époque où la culture n’était pas intensive.
Traçabilité totale
Son trait de génie réside dans la transformation de ces trésors en produits totalement uniques. Unique, son activité de courtier collectionneur l’est aussi. Transcendant le conflit historique entre le négoce et la viticulture, Jean Grosperrin aura été l’un des premiers à commercialiser des produits à l’état brut, sans sucre ni caramel, sans passage à froid.
Quant à la notion de Cognac millésimé, elle se trouve remise au goût du jour à la faveur de la disparition de son interdiction édictée par l’interprofession dans les années 1960. Sa réapparition en 1988 garantit une traçabilité sans faille, l’une des plus strictes au monde. Car tous ces Cognacs issus de petits propriétaires-récoltants sont certifiés par la DGCCRF et datés au carbone 14 par le CNRS. La maison Grosperrin ne s’approvisionne pas exclusive- ment dans les chais de campagne. Certains lots proviennent des magasins généraux sous contrôle d’Etat. En échange du stockage d’eaux-de-vie, le viticulteur fait valoir un récépissé officiel certifiant que le Cognac est sous contrôle étatique durant la période de vieillissement. La maison Grosperrin est l’une des rares maisons spécialisées dans ce mode de production.
A contre-courant des idées reçues
Les 25 millésimes élaborés à partir des meilleures eaux-de-vie sont constitués de tous les crus de l’aire géographique d’appellation. « Tous les cépages possèdent leur légitimité. On ne trouve presque plus de bois ordinaires (Seulement 1000 hectares plantés sur une surface totale de 400 000 hectares)… » déplore Guilhem Grosperrin. Aucun doute, à la dégustation, on découvre des Cognacs tour à tour fruités, parfumés, voluptueux, complexes ; l’alcool ne domine pas, la sucrosité est naturelle. Le terroir ne ment pas.
A contre-courant, Guilhem Grosperrin l’est aussi dans son approche du marché. Si certains millésimes rares se vendent à un prix élevé, ils restent globalement abordables pour le plus grand nombre. Les produits sont très concurrentiels, la gamme tarifaire allant de 35 € pour un VSOP 12 ans d’âge (prix de vente public) ou 55 € pour un XO à des tarifs plus élevés sur des millésimes plus anciens.
100 000 litres de Cognac se trouvent actuellement stockés et 15 000 à 30 000 bouteilles sont commercialisées par an à parts égales entre le marché national (réseau spécialisé) et l’export. « Nous surfons sur la clientèle des pure malt pour proposer des choses très fines en petites quantités. Lorsque le Cognac est bon, 1 cl sec en apéritif suffit ». Le jeune négociant aime aller à la rencontre des amateurs. Evitant de s’isoler sur une niche de luxe, il se concentre Sur son travail de proximité. Un millésime de 1958 par exemple, le seul dans la région, affiche un prix de départ à 120 € (200 € prix public).
On ne peut s’empêcher de penser à cette crise qui menace de nouveau l’économie charentaise. Sera-t-elle l’occasion d’opérer un retour à ces activités qui font la richesse de notre tissu économique et artisanal ? On ne peut que le souhaiter, pour le bien de ces amoureux du Cognac qui inlassablement, croient en lui et en eux.
Christelle FAURE-NEMERY