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L’Express : Ces cognacs qu’on millésime
Ces cognacs qu’on millésime
A contre-courant, dans une région où l’assemblage est roi, quelques maisons proposent des nectars vintage. Un marché de niche à découvrir.
Loin des millions de litres de cognacs industriels, faussement vieillis au caramel et à l’eau boisée, des propriétaires et des négociants s’attachent à sortir des eaux-de-vie sur mesure et les plus pures possible. Dans cet esprit, les cognacs millésimés suscitent de plus en plus d’intérêt auprès d’un public exigeant et de connaisseurs soucieux de rappeler que le cognac est avant tout un vin blanc sujet aux aléas du climat.
Situé à Saintes (Charente-Maritime), le négociant Guilhem Grosperrin a choisi d’en faire une spécialité. Il déniche à droite, à gauche, des petits lots… Un cépage folleblanche de Grande Champagne 2003, une Petite Champagne de 1973 qui titre 60,3 degrés, un Bois Ordinaires d’Oléron 1989, une Borderies 1961… “Cet attrait remonte au début des années 1990, quand mon père a débarqué dans la région et s’est rendu compte que des trésors dormaient dans les chais”, explique Guilhem.
Car la famille Grosperrin n’est pas du cru. Le père, Jean, fut un enfant de la Ddass avant d’être ouvrier agricole dans le Morvan. Il devient berger et tondeur de moutons. Dans ce paysage forestier où le Charentais François Mitterrand a créé son fief politique, Jean Grosperrin fonde une famille, du côté d’Autun.
En 1982, il achète un vieil alambic ambulant et se met à son compte. “On bougeait de village en village, nous changions d’école, mon père allait dans les ateliers municipaux pour distiller la gnôle des paysans. Economiquement, c’était compliqué, ma mère en avait ras-le-bol, nous étions trois enfants…”, se souvient Guilhem.
Du coup, le père passe le bac et un BTS viti-oeno à Montpellier, avant d’atterrir à Cognac comme vendeur d’alambics. Nous sommes en 1991 : c’est le début de la crise de l’eau-de-vie charentaise, provoquée par un gel fatal pour les vignes et par l’écroulement du marché japonais. L’employeur de Grosperrin fait faillite.
Petite entreprise familiale
C’est en vendant des alambics que Jean se rend compte des trésors qui sommeillent dans les chais. Alors il s’installe comme courtier de campagne, mais, faute de trésorerie, il ne peut pas se constituer des stocks. Il achète, il vend, bon an mal an. Sa société se nomme La Gabare, du nom de ces canots à fond plat qui descendaient autrefois le fleuve Charente pour charger les fûts sur les navires en partance pour l’Europe du Nord.
En 1999, Jean crée ses propres cognacs. Quelques bouteilles seulement. On étiquette avec les enfants; Guilhem attrape le virus. C’est en 2004, alors que Jean est gravement malade, que le fils reprend l’activité. “Dès le départ, mon père a voulu mettre en valeur des lots de cognacs pour ce qu’ils étaient, sans avoir parfaitement conscience de l’origine du cru et du millésime”, raconte Guilhem, qui va reprendre le flambeau pour compter aujourd’hui à son actif près de 400 lots et quelque 500.000 équivalents bouteilles de stock.
“Traditionnellement, à Cognac, les grandes maisons assemblent les eaux-de-vie pour garantir une qualité régulière sur leurs cuvées. Moi, je m’intéresse à la matière brute, sans la réduire à 40°, sans sucre, sans caramel, sans boisé…”, explique celui qui a pour devise “Cognac de collection”. “Chaque lot qui se présente, s’il est unique et beau, intègre d’ailleurs ma collection, après on verra pour le vendre”, ajoute le plus armagnacais des Cognaçais, qui a aussi ouvert une boutique à Saintes, en 2013.
Car, contrairement à celle de l’armagnac, la région du cognac n’a jamais cultivé la production de millésimés, même si, historiquement, des maisons comme Hine et Delamain ont ouvert la voie, notamment sur le marché britannique. Après quelques balbutiements législatifs et une interdiction face à des entourloupes, le marché du vintage a été à nouveau autorisé en 1988.
Au-delà de la réglementation (comprenant la reconnaissance au carbone 14), il existe aussi une mise en garde pour le consommateur. “Il faut regarder sur l’étiquette la date de mise en bouteille, car le cognac ne vieillit pas en flacon. Si c’est un millésime 1996 mis en bouteille en 2006, il a 10 ans d’âge et il les aura toujours”, explique justement Patrice Piveteau, le maître de chai de la maison Frapin, qui sort de temps à autre de superbes cognacs millésimés et même des assemblages où sont stipulées les années qui le constituent.
D’autres maisons sont à l’affût de ce prestigieux marché de niche : Lhéraud, Prunier, Bache-Gabrielsen, Ragnaud- Sabourin… “Plusieurs fois, des clients, des grands amateurs, mais aussi des sommeliers, nous ont demandé des millésimes pour proposer des choses uniques”, confie Annie Ragnaud-Sabourin. “Mais, à l’étranger, où le cognac se décline en VSOP et XO, il demeure difficile de communiquer sur les vintage”, précise l’ambassadeur de la maison Camus, Frédéric Dezauzier.
Reste que cette approche consacre un peu plus la prestigieuse eau-de-vie charentaise, qui fait fureur dans le monde entier, par la mise en avant du climat, des crus, des cépages, du réel vieillissement et, aussi du “bio” -les “résistants” de la première heure s’appellent Pinard, Brard-Blanchard, Ramnoux, Pasquet… Est-ce par toutes les personnes citées plus avant que passera – ou non – le salut de la région relatif à l’usage des pesticides? Car, en la matière, il suffit de se balader dans ce vignoble pour constater que si le Cognaçais est à la veille d’un scandale, il est déjà au lendemain d’une catastrophe.